Carte blanche à Valère Novarina
La pensée respire
"J’ai toujours pratiqué la littérature non comme un exercice intelligent mais comme une cure d’idiotie. Je m’y livre laborieusement, méthodiquement, quotidiennement, comme à une science d’ignorance : descendre, faire le vide, chercher à en savoir tous les jours un peu moins que les machines. Dessiner par accès, chanter par poussée, écrire dans le temps, pratiquer le dessin comme une écriture publique, peindre sans fin, chanter des hiéroglyphes, des figures humaines réduites à quelques syllabes et traits, dresser la liste de tous les noms, parler latin, appeler 2587 personnages parlants, traverser toutes les formes. (…) Je quitte ma langue, je passe aux actes, je chante tout, j’émets sans cesse des figures humaines, je dessine le temps, je chante en silence, je danse sans bouger, je ne sais pas où je vais, mais j’y vais très méthodiquement, très calmement : pas du tout en théoricien éclairé mais en écrivain pratiquant, en m’appuyant sur une méthode, un acquis moral, un endurcissement, en partant des exercices et non de la technique ou des procédés, en menant les exercices jusqu’à l’épuisement : crises organisées, dépenses calculées, peinture dans le temps, écriture sans fin ; tout ça, toutes ces épreuves, pour m’épuiser, pour me tuer, pour mettre au travail autre chose que moi, pour aller au-delà de mes propres forces, au-delà de mon souffle , jusqu’à ce que la chose parte toute seule, sans intention, continue toute seule, jusqu’à ce que ce ne soit plus moi qui dessine, écrive, parle, peigne. (…) Je n’ai jamais supporté l’idée que quelqu’un fasse quelque chose. Mes livres, j’ai mis chaque fois cinq ans à les faire, des milliers d’heures, de corrections maniaques ; mais ils se sont faits tout seuls. Je n’ai jamais écrit aucun de mes livres."
Valère Novarina, Pendant la matière, 1991, p.163.
www.novarina.com
Durant cette soirée, Valère Novarina lit quelques pages de ses derniers livres : Voie négative (2017), Observez les logaèdres ! (2015), Lumières du corps (2006).

Il me semble que la respiration animale préfigure la pensée, que la pensée respire, qu’elle détruit, qu’elle renverse les mots, qu’elle les remet en jeu en les faisant passer par l’asphyxie. La respiration est aussi la traversée de la mort. On renaît tout le temps.
L’obsession c’est le lien entre langage et espace. Il n’y a pas de lieu abstrait où aurait lieu le langage, il n’y a pas de lieu hors de la matière où le langage s’épanouirait. Le langage a lieu dans le corps.
Valère Novarina, extraits d’entretiens à propos de Voie
négative et Observez les logaèdres !
Photo Tristan Valès
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